ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE LA RADIO BAVAROISE / MENDELSSOHN-MAHLER / DANIEL HARDING : uNE SOIRÉE TOUT EN CONTRASTES

Fleur Barron (mezzo-soprano), Andrew Staples (ténor) et Daniel Harding dirigeant Le Chant de la Terre de Mahler. (© BR/Astrid Ackermann)

Deux œuvres que tout oppose, entre ferveur protestante et mélancolie mahlérienne. Sous la direction précise de Daniel Harding, l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise offre une soirée en clair-obscur.

Munich – Herkulessaal – 7 mars 2025

Felix Mendelssohn : Symphonie n°5 « Réformation », Op. 107
Gustav Mahler : Le Chant de la Terre (Das Lied von der Erde), symphonie pour ténor, alto (ou mezzo-soprano) et orchestre, composée en 1908-1909

Fleur Barron (mezzo-soprano)
Andrew Staples (ténor)
Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise
Direction : Daniel Harding

La fameuse Herkulessaal a accueilli une soirée de contraste entre deux visions musicales : d’un côté, Mendelssohn et sa Symphonie « Réformation », ancrée dans l’élan protestant et l’héritage de Bach. De l’autre, Mahler et son Chant de la Terre, où la mélancolie et l’acceptation de la finitude se déploient dans une orchestration d’une richesse infinie.  Là où Mendelssohn a bénéficié d’une interprétation lumineuse et structurée, Mahler a suscité davantage de débats, notamment sur la direction et la performance vocale des solistes.

Mendelssohn – Une symphonie de ferveur et de clarté architecturale

Mendelssohn compose sa Symphonie « Réformation » en 1830 pour célébrer le 300e anniversaire de la Confession d’Augsbourg, événement fondateur du protestantisme. Pourtant, il ne la verra jamais publiée de son vivant, la jugeant imparfaite. Aujourd’hui, elle s’impose comme une œuvre singulière où se mêlent ferveur religieuse, héritage de Bach et élans romantiques.

Dès les premières mesures, Daniel Harding impose une solennité et une grandeur indéniables. Le premier mouvement, véritable hommage au style choral luthérien, s’ouvre avec une gravité majestueuse. Les contrebasses et les violoncelles posent un climat d’attente, avant que l’Amen de Dresde ne surgisse à plusieurs reprises, rappelant son rôle de motif sacré que Wagner reprendra plus tard dans Parsifal comme leitmotiv du Graal. Harding sculpte chaque entrée avec une lisibilité exemplaire, laissant respirer l’orchestre sans jamais alourdir la structure.

Le deuxième mouvement surprend par son caractère vif et dansant. Pris dans un tempo allègre, il s’apparente presque à un Ländler, cette danse populaire autrichienne que Bruckner intégrera dans plusieurs de ses symphonies. Ce caractère sautillant, marqué par des accents rythmiques bien définis et une articulation légère des cordes, confère à la musique une insouciance inattendue. Les bois, en particulier les flûtes, apportent une touche de fraîcheur qui évoque Beethoven. Harding fait preuve ici d’une souplesse remarquable, donnant à cette section un dynamisme naturel et une fluidité qui maintient l’équilibre entre élégance classique et vitalité rythmique.

Le troisième mouvement, plus introspectif, conserve une simplicité élégante. Le chant des cordes s’élève avec une expressivité contenue, en évitant tout excès de pathos.

Enfin, le finale déploie une polyphonie d’une rare noblesse. Fondé sur le choral de Luther Ein feste Burg ist unser Gott, il impose une architecture grandiose que Harding magnifie par une gestion subtile des dynamiques. On y perçoit une ampleur qui, par instants, semble annoncer les grandes fresques symphoniques d’Elgar. Le contrepoint se construit avec une clarté quasi bachienne, et la puissance orchestrale se déploie sans jamais verser dans l’emphase.

L’interprétation proposée par Harding et l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise est d’une rigueur et d’une luminosité impressionnantes. Ce Mendelssohn réformateur se révèle ici sous son meilleur jour : structuré, solennel, mais jamais pesant, avec une fluidité qui en exalte toute la profondeur spirituelle.

Le Chant de la Terre : une trop belle splendeur orchestrale ?

Fleur Barron dans Le Chant de la Terre (© BR/Astrid Ackermann)

L’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise revient en seconde partie dans une formation plus imposante pour Le Chant de la Terre, cette œuvre crépusculaire, à mi-chemin entre la symphonie et le cycle de lieder, dans laquelle Mahler mêle grandeur orchestrale et intériorité inquiète et résignée. Comme on pouvait s’y attendre d’une telle phalange, le niveau instrumental frôle l’exceptionnel. Les bois se distinguent particulièrement : Lucas Spagnolo (flûte) et Stefan Schilli (hautbois) apportent des couleurs subtiles et une articulation d’une rare finesse. Le pupitre de cors, mené par Pascal Deuber, impressionne par son assurance, tandis que la harpe de Magdalena Hoffmann distille des éclats de lumière d’une limpidité envoûtante. Harding, qui considère Mahler comme un compositeur dont « l’orchestre pense et respire comme un organisme vivant », soigne chaque texture, chaque inflexion, mettant en relief l’éclat et la transparence de l’écriture mahlérienne.

Mais si l’orchestre se hisse à des sommets, le volet vocal se révèle plus problématique.

Andrew Staples se confronte à la partie de ténor, l’une des plus ingrates du répertoire, où la tessiture tendue et l’orchestration dense laissent peu de répit. Das Trinklied vom Jammer der Erde, qui exige une projection puissante et une endurance hors norme, le met immédiatement à l’épreuve. Son engagement est indéniable, mais le timbre manque de mordant, et l’émission parfois contrainte prive certaines phrases du legato nécessaire. Harding, en maintenant une dynamique ample et un orchestre foisonnant, ne lui facilite pas la tâche, et l’on aurait souhaité un équilibre plus favorable au chant.

Dans Der Einsame im Herbst, Fleur Barron impose une voix aux graves profonds et à la texture veloutée, qui n’est pas sans rappeler parfois les Kindertotenlieder. Harding s’empare ici des moindres frémissements harmoniques, tout en mettant en valeur cette atmosphère de désolation latente, quand le froid de l’automne n’est que le reflet de l’épuisement de l’âme… L’intelligence du texte est manifeste, mais Barron dramatise chaque mot avec une intensité qui, sur la durée, peut sembler trop appuyée. Ce surinvestissement expressif, au lieu de magnifier la mélancolie du poème, tend parfois à en altérer la fluidité naturelle.

Le troisième mouvement, Von der Jugend, est un bijou d’orfèvrerie instrumentale dans lequel Mahler joue sur une instrumentation légère et un contrepoint quasi pointilliste. L’orchestre excelle ici dans une lecture d’une transparence exemplaire. Pourtant, Staples peine à restituer l’ironie sous-jacente du texte, qui appelle un certain détachement, une souplesse qu’il ne parvient pas toujours à trouver.

Dans Von der Schönheit, l’orchestre retrouve un éclat pictural, magnifié par un solo de violon particulièrement expressif et des cordes d’une acuité remarquable. Harding dose subtilement les contrastes rythmiques et dynamiques, en insufflant une énergie cinétique qui donne à cette évocation sensuelle une dimension presque cinématographique.

Le cinquième mouvement, Der Trunkene im Frühling, marque la dernière intervention du ténor. Malheureusement, Staples ne parvient pas à transcender cette ultime apparition, qui aurait nécessité un sens du phrasé plus affirmé et un engagement plus viscéral. La concurrence discographique est certainement fatale…

Puis vient Der Abschied, sommet métaphysique de l’œuvre. Harding se montre ici particulièrement inspiré, tant il parvient à sculpter les inflexions rythmiques avec une précision chirurgicale, en révélant les subtiles arythmies qui font battre cette musique comme un cœur irrégulier. L’ouverture, portée par le hautbois, possède une étrangeté poignante qui évoque l’errance du pâtre de Tristan und Isolde. Le paysage sonore se déploie avec une ampleur saisissante, entre résignation et aspiration à l’éternité.

Cependant, pour sublime qu’elle soit, la direction d’Harding semble par moments trop détaillée, trop attentive à chaque sforzando, chaque accentuation. Cette précision analytique, si précieuse dans d’autres répertoires, aurait gagné ici à plus de souplesse, à un laisser-aller qui aurait permis à la musique de respirer davantage. Fleur Barron, quant à elle, livre une performance techniquement irréprochable, mais qui peine à atteindre cette dimension d’abandon absolu, ce flottement hors du temps qui fait la grandeur de ce final. Et au lieu d’assister au délitement vénéneux d’une éternité de lumière obscure, l’auditeur se surprend à regarder sa montre…

Daniel Harding, qui a appris une grande partie de son Mahler auprès de Claudio Abbado, en retient l’exigence de clarté orchestrale et le souci d’un son toujours vivant, jamais figé. Pourtant, ce Chant de la Terre semble encore perfectible dans sa vision. La splendeur de l’orchestre est indiscutable, la rigueur du chef impressionnante, mais l’émotion brute, celle qui saisit l’auditeur au plus profond, n’émerge pas encore pleinement. Peut-être Harding trouvera-t-il, dans de futures interprétations, un équilibre plus naturel entre contrôle et abandon, entre transparence et lyrisme pur.

Au total, donc, une exécution magistrale d’un point de vue orchestral, mais l’alchimie entre direction, orchestre et solistes reste à affiner pour atteindre la pleine dimension existentielle de l’œuvre.

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