Dvorak / Strauss, Petr Popelka, Wiener Symphoniker, Victoria Hall, Genève, 27 mai 2024

Genève à l'heure viennoise

Un beau concert, sans accrocs, un bis généreux, mais un Dvořák et un Strauss un rien routiniers.

Crédits photographiques : 

Peter Rigaud pour l’orchestre (à gauche)

Julia Wesely pour Julia Hagen (à droite)

Date et lieu : 27 mai 2024, Victoria Hall de Genève
Chef d’orchestre : Petr Popelka
Violoncelle : Julia Hagen

Programme :

1. Dvořák, Concerto pour violoncelle en si mineur, op. 104

2.  Richard Strauss : Don Juan, poème symphonique, op. 20

3. Richard Strauss : Till L’Espiègle, poème symphonique, op. 28


Il est toujours jouissif de participer aux concerts organisés par le service culturel Migros,  d’excellente tenue, et qui nous permettent de voyager et de découvrir les plus grands interprètes et les plus belles phalanges.


La soirée a débuté avec le Concerto pour violoncelle de Dvořák, très bien interprété par Julia Hagen. Créée le 19 mars 1896 à Londres, cette œuvre a été composée pendant l’hiver 1894 et représente la dernière œuvre américaine du compositeur tchèque. Elle reflète la nostalgie de Dvořák, séparé de sa patrie depuis trois ans, et l’énergie vibrante de son esprit créatif.


Le premier mouvement, Allegro, est très inspiré de la Quatrième Symphonie de Brahms. Julia Hagen a démontré une dextérité impressionnante et un engagement total, en apportant de magnifiques couleurs sombres aux bois. La musique respire, passant du sombre au jovial avec aisance, bien que l’orchestre, malgré une exécution techniquement impeccable, manquât parfois de vivacité, apparaissant un peu neutre. Il est intéressant de noter que ce concerto a pu donner l’impression d’être davantage une symphonie concertante qu’un véritable concerto. Tout le monde s’écoute, on apprécie les cuivres et les cordes, mais l’orchestre est resté parfois en retrait. Dans cette vision, les trois mouvements ont paru très autobiographiques, évoquant à la fois la Bohème natale et l’Amérique, comme un thème et variations autour de la vie de Dvořák et de sa Neuvième Symphonie.

Le deuxième mouvement, Adagio ma non troppo, introduit un trio de bois – hautbois, clarinette, basson – avec un thème mi-populaire, mi-religieux. Ce mouvement, mélange poignant de plainte et de marche funèbre, dans un climat où majesté et piété se rencontrent, a permis le déploiement de la musicalité de Julia Hagen, avec une grande ampleur et des moments émouvants. Elle est engagée, techniquement irréprochable.  Petr Popelka s’est montré très attentif et soigneux, avec une technicité admirable. Le troisième mouvement, Allegro moderato, est caractérisé par un rythme de marche et une virtuosité de la partie soliste qui s’intensifie notamment dans les traits en triolets de doubles croches. Un tutti s’ensuit, avec un thème principal résonnant comme une fanfare de cordes, et un crescendo qui conclut l’œuvre dans un puissant éclat orchestral. Malheureusement, cet éclat final n’a pas été suffisamment triomphal dans l’interprétation de ce soir. Il y manquait une certaine flamme et un sens des contrastes dans les couleurs.

En bis, Julia Hagen, rejointe par l’une de ses comparses d’études à Vienne, Paula Zarzo, violoniste de talent, interprètent Lullaby , de la compositrice Rebecca Clarke. Un beau moment de douceur et de complicité entre les deux musiciennes.


La deuxième partie du concert a été consacrée à deux poèmes symphoniques de Richard Strauss, avec une interprétation de Till l’Espègle et de Don Juan. Bien que l’exécution ait été aussi techniquement irréprochable, elle manquait de profondeur et de relief. Le chef Petr Popelka, aux faux airs d’Andris Nelsons, n’a pas réussi à faire décoller la pièce. L’orchestre, bien que de très bon niveau, a manqué de couleur et de contraste. Certaines sections, notamment les bois, ont offert de beaux moments poétiques, mais l’ensemble est resté linéaire et univoque, parfois bruyant, manquant de la vivacité et de l’espièglerie caractéristiques de Till l’Espiègle. À plusieurs reprises, la musique est devenue bruyante sans pour autant offrir les nuances nécessaires. Comme le disait Debussy, Till l’Espiègle est « une heure de musique nouvelle chez les fous », mais ce soir, l’œuvre est restée trop sérieuse, loin de la légèreté et de l’humour qu’elle était censée susciter.


Don Juan a permis de saluer les remarquables cors de l’orchestre. Strauss avait 24 ans lorsqu’il a composé cette œuvre, devenue un pilier du répertoire symphonique. Inspiré par Lenau, ce poème symphonique explore les thèmes du désir, de la possession et du désespoir. Normalement, Don Juan est un héros violent, passionné et jouisseur, en quête d’un idéal inaccessible. Conscient de la vanité de la conquête, il devient amer et désabusé. Don Juan est censée être une œuvre brillante et épique, remplie de pulsions et d’assouvissements, avec des contrastes dynamiques, des accentuations rythmiques et des couleurs vibrantes. Malheureusement, l’interprétation de ce soir n’a pas totalement convaincu. Malgré les efforts de Popelka, l’œuvre est restée linéaire, les transitions manquant parfois de fluidité et de contrastes de dynamique. Les moments poétiques offerts par les bois étaient beaux mais n’ont pas suffi à maintenir l’intérêt tout au long de l’œuvre.


Si vous voulez vibrer avec un Don Juan idiomatique gorgé de sève et de fougue primesautière, courez vous procurer l’enregistrement fameux de Kempe avec la Staatskapelle de Dresde !


La soirée s’est conclue avec des bis généreux qui ont transporté l’auditoire dans l’ambiance festive d’un concert du Nouvel An, avec deux pièces de Johann Strauss : Frühlingsstimmen et Unter Donner und Blitz. C’était de loin la meilleure partie de la soirée. Les pièces, sans surcharge, ont été jouées avec une élégance et un esprit tout à fait dans la tradition de Johann Strauss. Les Wiener Symphoniker ont montré ici un naturel et une animation qui manquaient dans les œuvres de Dvořák et Richard Strauss. C’est un répertoire qu’ils connaissent par cœur, et qui permet au chef de mettre en avant les qualités de cet orchestre.  Les performances étaient virtuoses, colorées et animées. Le public ne s’y est pas trompé, réservant des applaudissements nourris. Les visages étaient ravis.

Ainsi, malgré une soirée riche en talents et en moments musicaux, l’ensemble est resté en demi-teinte, offrant une prestation techniquement solide mais manquant parfois de la vivacité contrastée et espiègle de Strauss. Les bis viennois ont, heureusement, apporté une conclusion festive et animée, rappelant le cœur de répertoire de cet autre orchestre de la capitale autrichienne.

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